l'instant décalé #10

l'instant décalé

Présenté par


Olivier

Episode 10 

VOIR     ECOUTER

D’Erasme à Bukowski, la folie s’inspire de la cruauté des vies désespérées. De Louis de Funès à Jack Nicholson, la folie se nourrie de la gestuelle frénétique des génies habités. Mais du pétage de plomb au burn out, la folie ne passera pas par moi. Oh, que non. De la douce folie à l’avilissante maladie, jamais je ne franchirais le pas. Fainéantise, paresse, procrastination, je vous aime. Ces mots que la société de capitaux à rendu vil, malsain, vulgaire, je les revendique haut et fort. J’adore glander. Déambuler, rêver. Contempler les assauts bisexuels du cimex lectularius, plus connu sous le nom de punaise des lits, je n’y vois rien de mal mis à part ce léger penchant au voyeurisme.
Admirer avec béatitude la parade amoureuse de deux pigeons sur la palissade du voisin, même si je dois y passer la journée pour voir la gente femelle accepter un suçon dans le cou, ça ne me gêne pas du tout.
Je pense qu’il est temps de redonner ces lettres de noblesse à cette oisiveté qu’idolâtraient les vieilles civilisations et les peuplades en voie de disparition, privilégiant l’art et le jeu, contrairement à cette société de compétition et de performance dans laquelle on évolue. Romains et Grecs, n’ayant pas connu les répugnantes morales de la trilogie monothéiste, valorisaient l’otium (le loisir) autant qu’ils trouvaient dégradante la servitude du travail, le labor.
Et d’ailleurs, dans toutes les sociétés n’ayant pas encore vu débarqué les missionnaires avec leurs dogmes religieux et commerciaux, et la syphilis, ce qui est étonnant pour des personnes morales ayant fait vœux d’abstinences, l’oisiveté était la valeur de tête de gondole, avec le respect de l’environnement de sa villégiature.

Le travail est la dégradation de l’homme libre, enseignaient les philosophes de l’antiquité.  L’homme est ici-bas pour souffrir, assène depuis deux millénaires le christianisme.
Et c’est marrant comme, en ce temps où la noblesse régnait, la bourgeoisie vantait le plaisir de la chair et l’athéisme, mais qui une foi récupéré les cordons de la bourse idéologique, prône officiellement la valeur travail et l’abstinence au plaisir. Je dis bien officiellement, parce que les putes et le champagne sont tolérés, mais uniquement en comité restreint et hors caméras.
Alors exceptionnellement, ce soir, je ne vais pas vous présenter un titre ou un groupe, mais un livre : droit à la paresse, un opuscule écrit en 1880 par Paul Lafargue.  
Et je vais vous lire tout de suite un passage qui montre que, finalement, depuis des siècles, pas grand-chose n’a changé. Ca date de 1880 je le rappelle, et vous verrez qu’il y a des clichés qui perdurent :
« Si les crises industrielles suivent les périodes de surtravail aussi fatalement que la nuit le jour, trainant après elles le chômage forcé et la misère sans issue, elles amènent aussi la banqueroute inexorable. Tant que le fabricant a du crédit il lâche la bride à la rage du travail, il emprunte et emprunte encore pour fournir la matière première aux ouvriers. Il fait produire, sans réfléchir que le marché  s’engorge et que, si ses marchandises n’arrivent pas à la vente, ses billets viendront à l’échéance. Acculé, il va implorer le juif, il se jette à ses pieds, lui offre son sang, son honneur. « Un petit peu d’or ferait mieux mon affaire, répond le Rothschild, vous avez 20 000 milles paires de bas en magasin, ils valent 20 sous, je les prends à quatre sous. » Les bas obtenus, le juif les vends six et huit sous et empoche les frétillantes pièces de cent sous qui ne doivent rien à personne : mais le fabricant a reculé pour mieux sauter. Enfin la débâcle arrive et les magasins dégorgent ; on jette tant de marchandises par la fenêtre, qu’on ne sait comment elles sont rentrées par la porte. C’est par centaines de millions que se chiffre la valeur des marchandises détruites ; au siècle dernier, on les brulait ou on les jetait à l’eau. Mais avant d’aboutir à cette conclusion, les fabricants parcourent le monde en quête de débouchés pour les marchandises qui s’entassent ; ils forcent leur gouvernement à s’annexer des  Congo, à s’emparer  des Tonkin, à démolir à coups de canon les murailles de la Chine, pour y écouler leurs cotonnades. Aux siècles derniers, c’était un duel à mort entre la France et l’Angleterre, à qui aurait le privilège exclusif de vendre en Amérique et aux Indes. Des milliers d’hommes jeunes et vigoureux ont rougi de leur sang  les mers, pendant les guerres coloniales de 16ème, 17ème et 18ème siècles.
Les capitaux abondent comme les marchandises. Les financiers ne savent plus où les placer ; Ils vont alors chez les nations heureuses qui lézardent au soleil en fumant des cigarettes, pour poser des chemins de fers, ériger des fabriques et importer la malédiction du travail. Et cette exportation de capitaux français se termine un beau matin par des complications diplomatiques : en Egypte, la France, l’Angleterre et l’Allemagne étaient sur le point de se prendre aux cheveux pour savoir quels usuriers seraient payés en premiers ; par des guerres du Mexique où l’on envoie les soldats français faire le métier d’huissier pour recouvrer des mauvaises dettes. »
Voilà. Retour en 2017. On voit bien que depuis toujours, la diplomatie, la guerre et ses milliers de morts ne servent que l’intérêt des financiers et des commerçants.  
Et il faudrait, de bon gré et avec le sourire, sacrifier sa courte vie pour le profit d’autrui, sous peine de se faire traiter de « fainéant. » La vie se résumerait-elle ainsi ? Faire de l’argent ou faire le néant. La musique, la peinture, la poésie, la littérature, la photographie, la danse, le théâtre sont le néant de l’instant présent, dans lequel les bienheureux aiment se prélasser. Et il voudrait ce petit être, micron d’un microcosme de l’univers, que toutes les âmes d’artiste s’arrêtent de  créer pour gonfler en abondance les tirelires d’ambitieux dominants.           
M. Macron, vous n’êtes qu’un… Non. Evitons la rime facile, je suis capable de mieux. Non M. Macron, je ne suis pas prêt à donner ma vie pour du pognon. Vous et vos compagnons, Fillon, Mélenchon, Hamon, vous êtes les sujets de la dérision de tous
les poètes de la planète. Et je n’ose même pas évoquer votre consœur, celle qui rime avec la haine.
Par contre, je suis heureux de constater mon évolution dans la hiérarchie cérébrale de M. Macron, car en quelques mois seulement, je suis passé de « rien » à « fainéant. » Alors en guise de cadeau pour la reconnaissance de ce nouveau statut social, je recommande à M. Macron et à tous aussi, de lire « droit à la paresse » de Paul Lafargue, que l’on peut trouver facilement si on s’en donne la peine. Et tant pis s’il prend parfois la tournure d’un pamphlet révolutionnaire, la provocation, il aime ça le Macron. Et moi dont !

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